Je sortais discrètement de la maison par le jardin de derrière et prenait garde à ne pas être espionné par un des hommes de mains de Vampeta. Je courrais vers l’imprimerie pour y rencontrer Alexandre, un jeune imprimeur avec qui je travaillais. Ce garçon avait un cercle « d’amis » assez impressionnant, conséquences des services qu’il avait rendu. Alexandre était le genre d’homme qui n’attirait pas l’attention sur lui, il ne disait jamais un mot qui aurait pu blesser une personne et c’était là le meilleur moyen de ne pas se faire d’ennemi. Mais il n’était pas pour autant transparent, il savait nombre de choses sur ce qui se passait dans l’ombre de la ville. Si une personne pouvait m’obtenir deux billets pour le bateau qui allait vers la France c’était bien lui. J’arrivais devant l’imprimerie et regardais discrètement au travers de la fenêtre toute poussiéreuse pour apercevoir Alexandre en train d’ajuster des caractères sur la planche d’impression. Je passais la porte et m’adressais à lui :
« - Alex… tu es… le patron est ici… ? demandais-je rapidement.
- Non pourquoi… ? me répondit-il.
- J’ai besoin de te parler… viens derrière. m’empressais-je de dire.
- Qu’est-ce qu’il t’arrive pour que tu sois si pressé, et tendu… m’interrogea-t-il.
- J’ai besoin de deux billets pour partir en France mon ami… c’est très important… je crois qu’on peut dire qu’il s’agit d’une question de vie ou de mort mon ami... lui avouais-je avec une peur dont j’ignorais la source précise.
- Bien… euh… bien mon ami. Viens me retrouver ce soir, derrière le Palacio Vasco de Gama. Je te donnerais ce qu’il te faut… A 23h00 tapante tu auras ce que tu veux…
- Merci mon ami… à tout à l’heure… prononçais-je avec enthousiasme. »
Je me sentais plus confiant, plus fort. J’avais le sentiment d’avoir réussi à sauver ma famille, ou plutôt ce qu’il en reste depuis que mon père nous avait abandonné à notre sort. Sur le chemin qui menait vers chez moi, je n’arrêtais plus de lever les yeux vers le ciel, le soleil se couchait plongeant la ville dans une marée rouge. Les ombres avaient quelque chose d’intrigant, quelque chose d’inquiétant… Je ne sais pas si c’était là une sorte de « rêve prémonitoire » ou seulement un pur hasard mais je n’arrivais pas à en détacher mes yeux. Mon souffle commençait à manquer, je courrais le plus vite possible, je n’avais toujours pas su accepter ce qui venait de se passer ces derniers jours, je ne réalisais pas encore et je pensais que partir en France me ferait oublier tout ces problèmes avant même de les avoir affronter… Je me trompais. Mais revenons au sujet qui nous intéresse… Je courrais et passais devant un régiment de la Milice en patrouille, je ne sais pas si le bruit d’un coup d’état courrait dans la ville mais l’ambiance était électrique, on sentait la nervosité à chaque coin de rue. C’était une autre ville dont je traversais les ruelles, ça n’avait rien de semblable avec ce que je connaissais jusque là. J’arrivais devant chez moi, la maison était plongée dans l’ombre d’un début de soirée et je sentais toujours autour de moi ce nuage de sensations négatives et désagréables. Je ne savais comment l’expliquer, je me sentais mal et il y avait une raison. Je décidais de ne plus y penser et entrais par la porte de derrière. Je pensais alors avoir été assez discret pour que les hommes de Vampeta ne me voient pas. Je montais les escaliers pour annoncer à ma mère la bonne nouvelle, nous allions fuir ceux qui nous veulent du mal, et nous allions en France pour démarrer une nouvelle vie. Le Brésil était mort avec la présence de mon père, ni l’un ni l’autre ne devaient nous retenir ici car nous n’avions plus rien à en obtenir qui ne soit mauvais. J’étais face à la porte de la chambre de ma mère, j’entrouvris celle-ci pour y glisser un œil et vis qu’elle n’était pas dedans. Je descendais l’escalier pour aller à la cuisine et aperçu avec horreur le spectacle qui allait changer ma vie en profondeur, et faire de moi tel une prémonition ce que j’allais devenir à mon arrivée en France… Là, assise à table pour manger la soupe encore fumante qu’elle s’était préparée, ma mère ne bougeait plus et fixait comme une statue le bois vieilli de la table. Une lame dans son dos lui avait pris la vie…