J’étais perdu… Là, au milieu de cette chambre poussiéreuse et pleine de chaleurs malsaines, je me sentais écrasé par le poids du silence. Ni ma mère, ni cet inconnu ne prononça mot. Puis lorsque mes yeux ont croisés ceux de ma mère, elle s’est remise à pleurer, me laissant deviner la situation par moi-même, à l’aide de ce grand homme au sourire inversé.
« - Cessez de pleurer Madame Rosario, et puis vous n’êtes pas la première à me jouer ce tour de comédien de Tragédie… lança-t-il froidement.
- Je ne sais qui… je ne sais qui vous êtes mais ne tenez pas ces mots devant ma mère ! menaçais-je d’une voix ferme.
- Tu es mignon mon garçon… mais tu n’est pas concerné. Allez va te coucher et laisse les grands parler… »
Je m’apprêtais à corriger cet homme lorsque ma mère, puis l’idée qu’il faisait deux fois ma taille, me persuada de rester calme. Je tentais de contenir ma colère puis sortais tout en sachant pertinemment que j’allais écouter au creux de la porte et ne pas perdre une miette de la discussion. Et c’est ce que je fis. Une fois la porte fermée, je faisais mine de marcher sur le vieux parquet de bois et revenais délicatement sur mes pas. J’étais maintenant face à la porte, et mon œil s’insinuait dans l’ouverture pour capturer la scène qui se jouait dans cette chambre. Ce que j’entendais concernait une affaire qui n’avait rien d’officiel, ni de légal… L’homme parlait nerveusement, il semblait énervé ou trahis. Au fil de ces mots, j’entendais souvent parler de sommes d’argent, de grosses sommes, le genre de somme pour lesquelles des hommes meurent. C’est alors que je vis l’homme s’approcher de la porte en s’adressant à ma mère :
« - …et j’espère que vous n’avez pas pour habitude de produire les mêmes erreurs que votre mari… c’est une maison ravissante… elle serait bien moins jolie avec des flammes autour vous ne croyez pas… ? Je veux tout récupérer c’est clair… ?
-… oui… …oui. disait ma mère à bout de force. »
L’homme ouvrit la porte tandis que je l’observais depuis le fond du couloir, masqué par les ombres. Il descendait rapidement les marches une à une, jusqu’à arriver à la porte. Soudain, il se retourna vers moi et s’adressa à moi :
« - Je ne fais pas ça contre toi mon garçon… je suis désolé mais c’est mon travail… dit-il avant de sortir de la maison »
Je ressentais alors un grand vide, lourd et omniprésent. J’écoutais les tics et les tacs de l’horloge comme s’il s’agissait de la 5ème symphonie de Beethoven, j’avais les yeux perdus au sol comme si le tableau de la Joconde était peint sur le parquet. Je ne savais rien, et savais tout pourtant… Je ne savais pas ce qui était arrivé à mon père, mais je savais que c’était grave… Je ne savais pas ce qui faisait pleurer ma mère à ce point, mais je savais que c’était grave… Je ne savais pas ce que l’homme réclamait qu’on lui rende, mais je savais que c’était grave… Il me restait une seule chose à faire, demander toute la vérité à ma mère… Je me dirigeais vers la chambre et entrouvrit la porte, au sein de cette atmosphère étouffante, maladive… Les murs recouverts de tapisseries pourpres paraissaient se resserrer comme pour nous écraser. C’est alors que d’une voix faible et usée, ma mère me raconta toute la vérité…
Commentaires :
Re:
Cher Songe, vos remarques, je vous le répète, ne sont nullement blessantes, elles sont constructives et légitimes...
Je répondrais brèvement car je crois qu'une seule phrase pourra à elle seule répondre à vos interrogations...
J'ai acquis une conviction avec l'âge: nous ne sommes jamais que ce que nous sommes... je veux dire par là que j'écris en effet de mémoire... la vision que vous avez des choses et celle que j'ai actuellement. Quelques notes m'aident à me souvenir de certaines choses. Mais je rédige ce journal de mémoire. Je vais vous ôter un doute très répandu: non le vampire n'est pas immuable par son immortalité, il évoule avec son temps... Pour cette raison je préfère retranscrire les dialogues avec le vocabulaire d'aujourd'hui. Je veux que les lecteurs comprennent, et trouvent dans mes écrits une source de pensées qui pourrait leur servir.
Pour ce qui est de ma mère, il est vrai qu'elle était émancipée pour son temps, et comme il est brièvement énnoncé dans le Journal, elle ne croyait pas en Dieu... Voilà pourquoi je n'ai pas eu d'éducation religieuse. De plus mon père étant assez distant et sombre au sein de la famille, ma mère cherchait en moi une affection qui lui faisait défaut, du moins c'est ce que j'ai toujours pensé depuis sa mort...
J'espère avoir répondu à vos interrogations, n'hésitez pas à réagir de nouveau...
Ezekiel Rosario...
Re: Re:
Cher Ezekiel,
Me revoici enfin plume en main, encrier plein et une longue nuit devant moi pour m'atteler à la poursuite de notre correspondance ...
Je vous remercie tout aussi brièvement pour ces précisions-ci qui ne manquent de mettre en lumière quelques points qui m'étaient restés obscurs ...
Je vais de ce pas poursuivre mes lectures et réponses ...
Songe
Messire Rosario,
J'avais déjà eu le loisir de parcourir ces lignes qui, tous les saints en soient loués, ont eu le bonheur de m'apparaître pour me livrer un inestimable témoignage ... mais je n'ai pu, à la relecture, m'empêcher de saisir aussitôt ma plume pour vous faire parvenir le fruits de mes premières interrogations ...
En effet, d'une insatiable et réprimandable curiosité je ne pus m'empêcher de me faire des remarques auxquels il me fallait promptement votre réponse afin d'apaiser le flot tumultueux de mes interrogations.
Voici donc en quoi ma curiosité fut piquée : votre récit fut-il rédigé à cette époque-ci et de mémoire ou reprend-il des notes que vous avez pu prendre jadis ? Car je ne peux m'empêcher de m'étonner du lien étroit qui semble vous lier à votre mère et de la familiarité qu'elle semble vous témoigner en des temps et lieux où l'on sait que l'éducation et la morale réligieuses étaient d'une grande rigueur. A moins que votre mère, paix à son âme, ne fut de ces personnalités émancipées bien avant l'heure ...
D'autre part je note l'actualité des dialogues qui m'amènent, pardonnez-moi cette insolente supposition, à penser que le récit est de rédaction récente ... peut-être devriez-vous retranscrire ceux-ci dans un vocable d'époque afin de replacer chronologiquement le récit dans son contexte.
Je poursuis aussitôt ma lecture afin de vous livrer d'éventuelles autres remarques qui, j'ose l'espérer ne sauront vous offenser ...
Bien à vous
Songe